Fromages AOP : l’horizon s’éclaircit mais la prudence reste de mise
Les fromages sous appellation d’origine sortent de deux années d’érosion. Les premiers chiffres de 2024 indiquent une stabilisation globale des ventes, mais avec des situations très contrastées.
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Les fromages sous appellation d’origine protégée retrouvent un semblant de sourire. Après deux années compliquées, c’est une bonne nouvelle. Subissant l’inflation sur les prix, une partie des consommateurs avait délaissé les produits haut de gamme pour se recentrer vers les marques de distributeurs et les premiers prix. Les AOP, et plus encore les produits bio, en ont fait les frais. En 2023, les ventes de fromages AOP ont baissé de 3 % par rapport à 2022 et de 3,45 % par rapport à 2021.
Les premiers chiffres disponibles pour l’année 2024 indiquent un arrêt de cette érosion. Les volumes commercialisés sont stables à l’échelle de la filière. Le Comité national des appellations d’origine laitière (Cnaol), qui centralise les informations fournies par les 28 AOP fromagères au lait de vache, dispose pour l’instant de celles sur le suivi en supermarché, hypermarché et hard-discount. Ces trois débouchés concentrent 54 % des ventes en 2023 (voir les tableaux ci-dessous).
Communiquer : une nécessité
« Toutes les appellations ne sont pas logées à la même enseigne, nuance le président du Cnaol, Hubert Dubien. Avec + 6 % en GMS et hard-discount, les pâtes pressées cuites tirent la filière, tandis que les pâtes pressées non cuites, les pâtes molles et les pâtes persillées reculent de 3 % à 4 %. » Les lauriers reviennent au mastodonte comté qui affiche + 2,4 % en 2024 en moyenne dans les enseignes de distribution. Face à la baisse de ses ventes, le numéro 1 des fromages AOP a intensifié, en 2023 et 2024, ses efforts de communication envers le grand public. Son organisme de défense et de gestion (ODG) a prévu, pour 2025, un retour à la normale de son budget média. L’ODG saint-nectaire suit la même stratégie. Le recul de 4,2 % de l’AOP entre 2021 et 2023 l’a poussé à se doter d’un budget de communication de 300 000 € supplémentaires l’an passé. « Nous avons lancé pour la première fois une campagne publicitaire, télé comprise », indique Sébastien Ramade, son président. Seulement, toutes les AOP ne possèdent pas cette force de frappe.
C’est le cas de la fourme de Montbrison, dont Hubert Dubien est le président (613 t en 2024, - 4 %) : « L’appellation assure le coût des contrôles relatifs à son cahier des charges. Cela impacte son autofinancement et sa capacité à cofinancer avec l’Europe des actions de promotion. » Le Cnaol se heurte au même problème que la petite AOP pour entretenir la flamme des consommateurs. La prochaine campagne nationale est prévue en 2026. « Étant donné les restrictions gouvernementales, il est très peu probable d’obtenir des fonds du ministère de l’Agriculture pour cette année, dit-il. Côté Cniel, l’interprofession oriente ses financements vers la filière bio. »
En attendant 2026, le Cnaol espère que la plateforme de formation en ligne gratuite (www.formation.produits-laitiers-aop.fr), qu’il a lancée début avril, renouvellera l’intérêt des acheteurs. Composée de courts modules, elle vise principalement les responsables des rayons coupe des GMS, segment qui perd du terrain. Ces crémiers font partie des passeurs essentiels vers les consommateurs de la démarche des appellations. « Le recul des rayons coupe est général en GMS. Les fromages AOP et non AOP enregistrent une diminution cumulée sur 2022 et 2023 d’un peu moins de 2 % », souligne Ronan Lasbleiz, chargé d’étude R&D au Cnaol. Cette tendance se poursuit en 2024 chez quatre des six fromages AOP emblématiques contactés par L’Éleveur laitier : - 1,9 % pour le saint-nectaire, - 6,5 % pour le camembert de Normandie, - 9,2 % pour la fourme de Montbrison et - 24 % pour le beaufort, selon le Cnaol. Ce sont surtout les prix en moyenne plus élevés que ceux en libre-service qui ralentissent leur activité. Dans un contexte d’inflation, les 2 € de plus sont rédhibitoires aux yeux des consommateurs (respectivement 19,90 €/kg de fromage AOP et 17,10 € en 2023).
Pâtes pressées cuites : arbitrage constructif des consommateurs
Le comté et le cantal échappent à ce phénomène. D’après le Cnaol, les ventes à la coupe sont stables pour le premier et augmentent de 6,7 % pour le second. De même, celles en libre-service se portent bien : + 2,7 % et + 3,2 %. Les deux pâtes pressées cuites profitent à plein des différentes durées d’affinage autorisées par leur cahier des charges. « Un temps d’affinage plus court permet un produit moins cher. C’est un vrai atout, souligne Julien Maurs, directeur de l’ODG cantal (115 Ml transformés en 2024). L’arbitrage des consommateurs sur le prix se fait à l’intérieur de l’AOP et non à ses dépens. » L’appellation se décompose en effet en trois gammes : le cantal jeune (de 1 à 2 mois d’affinage), l’entre-deux (au moins 4 mois) et le cantal vieux (plus de 8 mois). « Les volumes commercialisés en ce début d’année suivent la tendance de 2024. C’est positif. »
Camembert : fortement concurrencé
Même son de cloche en Normandie. « Si l’on ne tient pas compte des tensions internationales, nous sommes plutôt confiants pour 2025 », indique David Aubrée, président de l’ODG camembert de Normandie. « Nous enregistrons certes une baisse de 1,4 % de nos volumes globalement sur l’année 2024 mais les achats des ménages ont été soutenus au second semestre et se poursuivent depuis le début de l’année », se réjouit-il. Et le directeur de la fromagerie manchoise Réo, filiale de Maîtres laitiers du Cotentin de poursuivre : « Grâce à la qualité du fromage et à son cahier des charges reconnu par la clientèle, l’appellation résiste aux publicités sur les produits pas chers des enseignes de la distribution et à la forte concurrence sur le marché du camembert. » Le fromage est en effet devenu un emblème de la lutte contre l’inflation. Entre un camembert premier prix sous les 2 € et un camembert de Normandie à 5 € ou plus, il y a désormais un écart de 3 €. Il devrait rester à ce niveau cette année, car les hausses tarifaires négociées avec les GMS s’avoisinent à 1 %, ancrant l’acceptation d’une catégorie de consommateurs à des prix plus élevés en fromages AOP.
Le comté reconduit la baisse des volumes
L’horizon s’éclaircit donc, mais les appellations fromagères restent prudentes, en premier lieu le comté. Il a reconduit pour les campagnes de 2025-2026 et 2026-2027 le blocage de 3 000 tonnes de référence décidé l’an passé. « Depuis janvier 2024, les ventes sont orientées à la hausse par rapport à la période précédente. Cependant, leur niveau n’a pas été suffisant pour résorber le stock constitué », justifie-t-il dans son accord de régulation de l’offre, dont le principe est autorisé par l’Union européenne.
Saint-nectaire : vers un lissage de la production
La branche fermière du saint-nectaire (59 % des volumes) se prépare depuis 2023 à ce dispositif, mais l’objectif est différent. Elle souhaite un lissage des volumes pour un maintien de la qualité des fromages toute l’année et, par ricochet, la fidélisation des consommateurs. « De décembre à février, il y a trop de fabrications par rapport aux besoins, note Sébastien Radame. Les 203 producteurs fermiers ont reçu un courrier d’information les incitant à ne pas dépasser 25 % de leur production annuelle sur ces trois mois de décembre, janvier et février. C’est un test à blanc. » Une surcotisation est étudiée pour les dépassements de volumes, en tenant compte des cas particuliers (problèmes sanitaires, etc.). « Ce plan de régulation de l’offre devrait être proposé au vote à notre assemblée générale de 2026. L’étape suivante sera sa validation européenne. »
Les quatre fromages AOP de Savoie (beaufort, reblochon, abondance et tome des Bauges), eux, pratiquent en routine par ce biais la gestion de la saisonnalité. Il n’est pas question d’abaisser les fabrications. « Si réduction des volumes il y a en 2025, ce sera par une baisse de la collecte, pointe Sébastien Breton, directeur des fromages de Savoie. Les élevages ne sont pas à l’abri d’un nouvel épisode de FCO ou de conditions climatiques compliquées. »
Export : pas d’affolement
Quant aux tensions internationales, risquent-elles de perturber les AOP fromagères françaises ? La France exporte 18 000 tonnes de fromages AOP (10 % des ventes), dont seulement 20 % hors de l’Europe. « Vu les annonces américaines contradictoires, il ne faut pas s’affoler », rassure Hubert Dubien. L’éventuel risque est que les fromages non exportés restent sur le marché national et le perturbent. Cela pourrait accentuer la pression sur les prix qu’exercent déjà les GMS. Bousculés depuis quatre ans, les producteurs et les fromagers tâtonnent pour maintenir les volumes de ventes tout en continuant à être créateurs de valeur. C’est là leur principale inquiétude.
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